L'écoblanchiment : de quoi s'agit-il ?
L'écoblanchiment est défini par Delmas et Burbano comme "l'intersection de deux comportements d'entreprise : une performance environnementale médiocre et une communication positive sur la performance environnementale".
Le terme écoblanchiment a été inventé pour la première fois dans un essai de l'écologiste Jay Westerveld à la fin des années 80. Il avait remarqué un panneau affiché à côté d'un porte-serviettes dans la salle de bains de son hôtel. Westerveld se souvient : "L'affiche disait en gros que les océans et les récifs constituaient une ressource importante et que la réutilisation des serviettes réduirait les dommages écologiques. Ils ont terminé en disant quelque chose comme "Aidez-nous à aider notre environnement". Ce faisant, l'hôtel s'est présenté comme une organisation soucieuse de l'environnement. M. Westerveld a toutefois affirmé que cette campagne d'économie de serviettes n'était pas seulement une méthode relativement inefficace de préservation de l'environnement, mais aussi une fausse représentation des véritables motivations et priorités de l'hôtel en ce qui concerne la préservation de l'écosystème local. "Je ne pense pas qu'ils se soient vraiment souciés des récifs coralliens", a déclaré M. Westerveld. "Ils étaient en pleine expansion à l'époque et construisaient de nouveaux bungalows". Au lieu de cela, a affirmé M. Westerveld, l'hôtel essayait simplement de se montrer respectueux de l'environnement, tout en économisant de l'argent sur la blanchisserie.
Le terme de Westerveld s'est rapidement imposé, car de plus en plus de consommateurs ont commencé à reconnaître ce soi-disant "écoblanchiment" dans des campagnes de marketing de style similaire menées par d'autres entreprises. La campagne People Do de Chevron en est un exemple. Elle était déjà sur le marché depuis environ un an lorsque Westerveld a écrit son essai. Les spots publicitaires de la campagne " People Do" montraient des employés de Chevron "aidant" des animaux tels que des ours, des tortues de mer et des papillons, représentant ainsi Chevron comme une entreprise soucieuse des autres. Ces publicités ont été diffusées alors que Chevron violait simultanément la loi sur la qualité de l'air et la loi sur la qualité de l'eau et perturbait les habitats de la faune sauvage par des déversements de pétrole.
Chevron a peut-être été l'une des premières entreprises à profiter de l'avantage marketing que procure le blanchiment écologique, mais elle n'a pas été la dernière, loin s'en faut. En effet, alors que les préoccupations liées à l'environnement, au changement climatique et à la préservation de la faune et de la flore se sont accrues au fil des ans, il semble que le volume de l'écoblanchiment ait augmenté en même temps. L'un des moteurs notoires de ce phénomène est, bien entendu, l'industrie de la mode.
Il est largement admis que l'industrie de la mode, telle qu'elle se présente aujourd'hui, n'est pas un exemple brillant de responsabilité environnementale et sociale. En 2021, le Forum économique mondial a identifié la mode comme le troisième plus grand pollueur au monde, et le Réseau environnemental de Genève a attribué à l'industrie de la mode 2 à 8 % des émissions mondiales de carbone chaque année. De plus en plus de consommateurs prennent conscience de l'impact de la mode et commencent à exiger davantage de mesures de durabilité.
"Ne disons pas que nous l'avons fait"
Alors que la pression monte sur les entreprises pour qu'elles réduisent leurs émissions et donnent la priorité aux préoccupations environnementales, au lieu de partager publiquement les mesures claires et/ou concrètes qu'elles prennent pour réduire leur empreinte écologique, les entreprises se présentent comme des entreprises socialement et écologiquement responsables qui sont "prêtes pour l'avenir" (Boohoo), où "le style rencontre la durabilité" (ASOS) et dont les pratiques "contribuent à restaurer l'environnement" (Lululemon). Ces campagnes de marque, partagées par Good on You, sont toutes commercialisées alors que la majorité de ces entreprises continuent d'exploiter des systèmes à forte consommation de combustibles fossiles qui donnent la priorité au profit plutôt qu'à la planète. Il s'agit d'une pratique trompeuse qui laisse croire aux consommateurs que les produits qu'ils achètent sont des choix responsables.
Dans le secteur de la mode, tout est affaire de perception. Il semble que la mode durable ne soit pas différente. Michelle Gabriel, directrice du Master of Science Sustainable Fashion du Glasgow Caledonian New York College (aujourd'hui IE New York College), explique : "[La mode] est un marché où les produits que nous fabriquons n'ont aucune utilité, de sorte que chaque valeur intégrée dans un produit - qui permet à une marque de pratiquer un certain prix, qui permet aux clients de penser qu'ils veulent ce produit ou qu'il vaut ce prix - est entièrement dérivée de la perception, presque exclusivement".
C'est cette structure basée sur la perception, sans normes concrètes spécifiques, qui a permis aux entreprises d'exploiter les consommateurs par le biais de l'écoblanchiment, et qui leur a également permis de s'en tirer à bon compte. Ce "Far West", comme l'appelle Kelly Drennan, fondateur de la FTA, dans une interview accordée à Global News, devient peu à peu plus réglementé.
Changements législatifs au Canada
Au Canada, un nouveau shérif est arrivé en ville sous la forme d'amendements à la loi sur la concurrence du Canada par le biais du projet de loi C-59. Deux dispositions ont été ajoutées :
236 (1) Le paragraphe 74.01(1) de la Loi est modifié par la suppression de "ou" à la fin de l'alinéa b) et par l'adjonction de ce qui suit après cet alinéa :
- (b.1)donne au public, sous la forme d'une déclaration, d'une garantie ou d'une caution, des indications sur les avantages d'un produit pour la protection ou la restauration de l'environnement ou l'atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques du changement climatique, qui ne sont pas fondées sur un test adéquat et approprié, dont la preuve incombe à la personne qui fait l'indication ;
- (b.2)fait une déclaration au public concernant les avantages d'une entreprise ou d'une activité commerciale pour la protection ou la restauration de l'environnement ou l'atténuation des causes ou effets environnementaux et écologiques du changement climatique qui n'est pas fondée sur une justification adéquate et appropriée conformément à une méthodologie internationalement reconnue, dont la preuve incombe à la personne qui fait la déclaration ;
En d'autres termes, si une personne/entreprise fait une déclaration sur les avantages environnementaux de son produit ou de ses activités commerciales en général, elle doit s'aligner sur les normes d'essai et de vérification reconnues au niveau international. La nature de ces normes n'a pas été précisée. Il s'agit de dispositions dites "d'inversion de la charge de la preuve", ce qui signifie qu'il incombe à la personne ou à l'entreprise qui fait l'allégation de prouver la légitimité de sa représentation (pensez que vous êtes coupable jusqu'à preuve du contraire, et non l'inverse).
Après l'adoption du projet de loi en juin et dans l'attente de l'approbation finale du gouverneur général avant qu'il ne devienne un acte officiel du Parlement, ses effets étaient déjà visibles, à commencer par l'industrie pétrolière canadienne. La Pathways Alliance, qui regroupe les plus grands producteurs de sables bitumineux du Canada, s'est empressée de supprimer de ses sites web et de ses médias sociaux tout contenu relatif aux objectifs et aux actions en matière d'environnement. Ils ont ensuite publié un communiqué de presse comprenant cette déclaration :
"Ces amendements créent une incertitude et un risque importants pour toutes les entreprises canadiennes, quel que soit leur secteur d'activité, qui communiquent publiquement sur leurs performances environnementales, y compris sur les mesures prises pour lutter contre le changement climatique. En conséquence, nous avons été contraints de retirer de nos sites web, de nos plateformes de médias sociaux et de nos autres canaux de communication les informations relatives à la performance environnementale et climatique, aux progrès et aux projets. Ces actions sont une conséquence directe de cette législation et ne sont pas liées à nos engagements ou à notre conviction quant à l'exactitude de nos communications environnementales".
De l'écoblanchiment à l'écoblanchiment
La réponse de Pathways Alliance, ainsi que celle de nombreux autres acteurs de l'industrie canadienne, soulève un autre problème potentiel. En s'attaquant à l'écoblanchiment, le pendule pourrait aller trop loin dans l'autre sens, ce qui ferait que les entreprises auraient trop peur de partager les progrès qu'elles réalisent en matière de protection de l'environnement. Ce phénomène est communément appelé "greenhushing", un terme inventé à la fin des années 2000 par Treehugger. Certains, comme Helene Smits, responsable du développement durable chez Recover, craignent que le "greenhushing" n'entraîne "moins de communication avec le public [ce qui] limite le partage des connaissances avec les pairs de l'industrie et les consommateurs, ce qui pourrait faire rater des occasions de collaboration et d'engagement". D'autres, cependant, comme Tonje Drevland, directeur adjoint du département de surveillance de l'Autorité norvégienne de la consommation, affirment que "ce qui nous préoccupe, c'est l'obligation de ne pas faire d'écoblanchiment, et si vous n'êtes pas sûr de ne pas faire d'écoblanchiment, vous devriez faire de l'écoblanchiment". Ainsi, même si légiférer contre l'écoblanchiment est un processus et que les normes doivent être claires et accessibles aux entreprises, la législation a jusqu'à présent atteint son objectif : faire réfléchir les entreprises à deux fois sur les déclarations environnementales qu'elles font.
C'est compliqué
Dans de nombreux cas, les entreprises ne sont pas nécessairement conscientes de faire de l'écoblanchiment ; leurs fausses déclarations en matière de développement durable peuvent simplement être un sous-produit du niveau élevé d'ambiguïté et de complexité des chaînes d'approvisionnement dans le secteur de la mode. Nombre d'entre elles ne savent même pas où se déroulent les différentes étapes de la production de leurs vêtements, sans parler de l'empreinte environnementale de ces étapes. La cartographie d'une chaîne d'approvisionnement peut être un processus long et coûteux, et il est peu probable qu'une entreprise s'y engage si elle n'y est pas contrainte. Là encore, nous constatons l'absence de normes législatives susceptibles de donner une impulsion.
Cette lacune commence toutefois à être comblée par diverses législations adoptées par les gouvernements du monde entier. En Europe, le règlement sur l'écoconception des produits durables (ESPR) exige que les produits, y compris les vêtements, soient rattachés à un passeport numérique de produit (DPP).
Le DPP fournit un historique du parcours d'un produit individuel, depuis sa conception jusqu'au consommateur. Cela obligera les entreprises à mieux comprendre leurs chaînes d'approvisionnement et les consommateurs seront mieux informés pour savoir si une entreprise entreprend légitimement des efforts en matière de développement durable.
Aller de l'avant
Tant que l'écoblanchiment ne sera pas réglementé à plus grande échelle, il continuera d'entraver les progrès de la durabilité dans l'industrie de la mode. En rendant presque impossible la différenciation entre les entreprises qui font réellement des progrès en matière d'environnement et celles qui prétendent simplement le faire, il est presque impossible pour le consommateur, malgré ses meilleures intentions, de soutenir des produits plus respectueux de l'environnement. La législation peut apporter de la clarté en obligeant les entreprises à étayer leurs affirmations par des actions et des preuves concrètes. Des modifications telles que celles apportées à la loi canadienne sur la concurrence seront essentielles pour faire avancer ce dossier.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l'écoblanchiment et ses effets, en particulier sur les consommateurs canadiens, ne manquez pas le rapport de la FTA sur la perception des consommateurs canadiens de la mode durable et de l'écoblanchiment qui sortira en septembre ! Soyez le premier à savoir quand le rapport sera disponible en vous inscrivant à notre(nos) bulletin(s) d'information - Inscrivez-vous ICI.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Rebekah Stokes | Coordinatrice du programme, Fashion Takes Action
Rebekah Stokes est coordinatrice de programme à l'ALE. Étudiante en développement mondial, elle se passionne pour la création de solutions concrètes à des problèmes complexes. Elle s'efforce de faire évoluer les systèmes actuels vers un avenir plus juste et plus durable. En savoir plus...